Ce dessin n’existe pas. Ceci n’est pas un dessin, comme dirait l’autre. Il n’existe pas sur un support classique. L’écran le fait vivre, mais si l’ordinateur est éteint, le dessin est invisible.
L’objet résultant est une accumulation d’étapes d’un dessin. Le passage du temps est dévoilé. Le dessin traditionnel permettait d’avoir un aperçu des traces de l’artiste. Sur cet objet virtuel, une vidéo, on a accès à la feuille blanche, aux premières traces, aux effacements ou corrections, aux changements d’intention de l’artiste. L’historique est là.
Je me souviens des dessins sur vitre de Picasso, filmés par une caméra fixe derrière la vitre. On ne voyait pas la main du peintre. Sur l’écran les traits semblaient se faire automatiquement. C’était pour moi de la magie pure ; ça me rappelait les pianos mécaniques dont les touches bougeaient comme si les doigts d’un fantôme les poussaient.
La vitre de Picasso restait un objet peint, un objet réel. Ce dessin n’a pas de matière. Il attend une imprimante pour exister.
Cela renvoie automatiquement à la question qu’on s’est posée aujourd’hui pendant le repas : un dessin virtuel peut-il être considéré comme une oeuvre d’art ou pas ?
On commence à s’habituer aux images virtuelles. Les photos sont souvent exclusivement virtuelles. Il y a quelques années on aimait les imprimer tout de suite, mais à force d’en accumuler dans les disques durs, on les imprime de moins en moins, tellement elles sont nombreuses. Actuellement, on les considère comme de « vraies » photos, ce qui n’arrivait pas au début, quand les appareils photo numériques semblaient un gadget. On pensait que la qualité numérique n’allait jamais égaler l’argentique.
On a oublié cela. Très rapidement les appareils argentiques ont presque disparu du marché. Aujourd’hui on prend une photo et on croit qu’elle existe de la même façon que la photo argentique existait dans la boîte noire de la pellicule. Mais celle-ci était matériellement gravée par une réaction photosensible sur la pellicule. Les appareils numériques n’ont pas de support gravé par la lumière. Le capteur transforme l’image en information binaire. Cette information n’est pas visible. Sans électricité, la photo n’existe pas.
Peut-être les dessins suivront-ils ce processus. On finira par croire qu’ils « existent » même en format électronique. Les imprimantes auront une telle qualité qu’il y aura peu de différence entre un dessin au fusain et un dessin imprimé.
En tout cas, je me suis bien amusé à dessiner sur l’Ipad pro de ma fille Anaéli.
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