
Discours d’inauguration du monument à Auguste Lartigue
20 septembre 2025
Saint-Paul-lès-Dax, à la minoterie de Poustagnacq
Auguste Lartigue avait un frère cadet un peu fou : alors qu’il était l’héritier d’une grande industrie créée par ses ancêtres, il a décidé de tout quitter et de partir à l’aventure vers des terres lointaines, vers un pays tout jeune qui offrait plein d’opportunités. C’était à la fin du XIX siècle. Il s’appelait Mathieu.
Auguste, dont le premier prénom était Salvat, avait les qualités qu’on attribue à ce prénom :
Salvat est un individu déterminé et sérieux, au caractère réfléchi, qui sait atteindre les objectifs qu’il s’impose.

J’ai donc imaginé un petit dialogue entre les deux frères :
Salvat Auguste demande à Mathieu : « pourquoi veux-tu tout quitter (ta famille, ton confort, tes amis, ta langue, nos bons fromages, tout !) pour une aventure qui semble très risquée. À Saint-Paul-lès-Dax, ton futur est certain, pourquoi t’en aller et recommencer de zéro ?
Mathieu lui répond qu’il est comme ça. Il a besoin de se prouver qu’il est capable de créer une industrie dans un autre monde. Il aime l’univers du vin. « Je vais fonder une fabrique de vin et je l’appellerai, en hommage à toi, « Les Frères Lartigue ». Aujourd’hui on sait qu’il a réussi son entreprise, au point d’avoir une centaine d’employés et une production de 5000 litres par an.
Auguste finit par dire à Mathieu quelque chose du genre : « Tu sais, frérot, je te soutiens dans ton aventure, mais c’est dommage que tu partes. Si tu restais ici, on bâtirait un empire, et un jour nos descendants pourraient continuer notre entreprise au niveau européen ! On se battrait ensemble contre les taxes douanières de Donald Trump » .
Mathieu lui répond : « tu as sûrement raison, mais je pense que la vie est imprévisible ; elle est comme une roue de la fortune qui tourne. Le destin n’est jamais maîtrisable. La minoterie pourrait se trouver un jour en faillite à cause de concurrents plus forts ; les descendants pourraient se voir obligés de vendre notre propriété. Le moulin resterait inutilisé pendant des décennies. Il deviendrait un simple décor pour, par exemple, un restaurant à côté de l’étang. (Mathieu avait raison, tout cela s’est avéré). Mais je te promet une chose :
Un jour nos descendants penseront à nous. Nous aurons des enfants, puis des petits enfants, puis des arrière petits enfants, et ainsi de suite. Parmi ces descendants, tu vas voir, certains viendront ici un jour et ils seront conscients que nos efforts n’étaient pas vains. Un de mes descendants retrouvera ton visage. Ce sera mon cadeau, ce sera ma façon de te retrouver, un petit cadeau du temps circulaire. Ton regard sera de nouveau posé sur cet empire dont tu vas t’occuper maintenant que je pars. Moi, ton frère aventurier, parti dans un monde nouveau pour partager notre culture avec d’autres peuples, je te ferai ce cadeau.
Et tu vas voir, la minoterie deviendra peut-être un centre important d’art et de création. La mairie en fera un projet majeur pour la ville. Et tes yeux de bronze verront tout ça. »

Voilà pour le dialogue imaginaire entre Auguste et Mathieu. Je le vois comme ça : ce geste de réaliser le visage d’Auguste est une reconnaissance du côté solide, stable, responsable et généreux du frère resté à Saint-Paul-lès-Dax de la part du frère parti loin à l’aventure. Deux frères avec une vision complémentaire.
Auguste a réussi à transformer sa ville, à l’embellir. Il y a laissé des traces. Il s’est occupé de ses habitants pendant plus de trente ans.
Mathieu, de son côté a réussi à inspirer ses descendants à prendre des risques, comme c’était le cas pour mon père, entrepreneur qui a réussi à nous offrir un horizon lumineux. Moi-même, en choisissant de devenir artiste, j’ai pris la voie du risque. Ma fille se lance aussi dans le domaine artistique.
L’art sert de pont entre les générations. Il permet d’échapper au temps. Aujourd’hui nous sommes venus rendre hommage à Auguste, qui fait désormais partie de la richesse patrimoniale de la ville.
C’est une histoire de frères comme beaucoup d’histoires dans la littérature ou même dans la bible. L’un est sédentaire dans l’âme et l’autre nomade. Sauf qu’à la différence d’Abel et de Caïn, ces deux frères se parlaient, s’aimaient, et se soutenaient l’un l’autre. Nous avons tous un côté nomade et un côté sédentaire.
A ce sujet, j’ai trouvé une phrase qui décrit les nomades :
De par leur mode de vie, les nomades doivent s’alléger. Plus souvent que les autres, ils écoutent ce que murmure le vent, ils contemplent ce que racontent les étoiles.
Aujourd’hui l’union de l’esprit et de la matière est symbolisé par ce buste. Le bronze est une matière noble qui traverse les siècles. La personnalité d’Auguste est incarnée dans les lignes et les volumes de cette sculpture. Nous, les artistes, croyons qu’il y a une relation importante entre la forme et l’esprit. Chaque personne est un sculpteur qui façonne toute sa vie son visage.
Chez Auguste je trouve l’assurance d’un père de famille, d’un bâtisseur, d’un homme honnête et entreprenant. Par moments il avait un regard amusé, comme s’il aimait aussi profiter de la vie. Il aimait à la fois la ville et la nature. On peut constater que l’industrie qu’il a développée est très liée à la nature, comme le montrent le moulin, le canal, et les terres qu’il a entretenues.





Je vous remercie tous d’être présents. Nous comptons parmi nous un des descendants de Mathieu venu de la Silicon valley, Carlos Lartigue, de la génération de mon père. (J’ai appris aujourd’hui que ses parents l’ont nommé « Charles » à sa naissance en 1944 inspirés du grand Charles !).
Nous avons la présence de la famille Saporta, qui m’a ouvert la porte pour mon retour à ce beau pays de mes ancêtres. C’est chez eux que je me suis senti adopté par la France. Marguerite Saporta, que j’appelais Mimi, a été pour moi comme une grand-mère. Elle était la petite-fille d’Auguste.
Albert, qui a une générosité discrète et solidaire, est le fils de Marguerite. Marie-Rachel, sœur d’Albert, d’une complicité constante dans ce projet, est venue avec son mari Norbert.
Albert est accompagné d’une de ses trois filles, Maud.
Nous avons aussi la famille Baron, représentée par Isabelle et Jean. Poupette, leur mère, était aussi une petite-fille d’Auguste. Elle était une personne dédiée aux autres, d’une gentillesse immense.
Et il y a notre branche Lartigue descendante de Mathieu, moi, ma fille Anaéli et ma petite-fille, avec un nom de fleur : Lilas Lartigue, d’à peine un an et demi.
Nous avons donc ici 4 générations sur les 5 qui ont suivi celle de Mathieu et Auguste !

La rencontre à la mairie de Saint-Paul-lès-Dax avec Sébastien Ducasse, l’adjoint à la culture, et Monsieur le Maire Julien Bazus a pris immédiatement une tournure heureuse : leur volonté de faire à Poustagnacq un centre d’art et de création entrait en résonance avec notre activité artistique. Le projet de rendre hommage à Auguste s’est fait de façon naturelle. Nous avons fait don de notre travail et la mairie a apporté son soutien matériel. Encore une fois, la complémentarité ! Ce monument marque ainsi, je l’espère, le début d’un grand projet pour faire vivre l’art.
Je voudrais donc les remercier de nous avoir permis de participer au patrimoine de leur ville. Nous leur sommes reconnaissants de leur passion pour l’histoire et de leur élan envers la défense de l’art, qui en a tellement besoin. Merci aux services techniques, qui ont fait un travail remarquable, à Messieurs Jacquemoire et Joyeux, et à Mme Ranzoni pour leur participation dans ce projet.
Je veux remercier spécialement ma compagne Juliette, qui m’a poussé à découvrir mon passé, à comprendre les enjeux de cet exercice de mémoire familiale. Nous réalisons tous nos projets artistiques ensemble. C’est Juliette qui est la directrice de notre petite entreprise d’art. Elle est écrivain. Juliette connaît donc l’importance d’une longue histoire comme celle des Lartigue.

Et pour finir : je voudrais dédier cette œuvre aux deux fleurs qui marquent mon histoire personnelle de façon très profonde, à Marguerite Saporta, petite-fille d’Auguste, et à Lilas Lartigue, ma petite-fille. Merci.
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