Dans la réalisation d’un buste d’une personne vivante, l’artiste est soumis à une pression extérieure. Le risque est que le modèle ne se reconnaisse pas dans la sculpture. Et pas forcément par un manque d’exactitude dans la ressemblance. Ça peut être le contraire : par un excès de ressemblance. Le modèle peut supposer ses défauts grossis par la main du sculpteur.
La ressemblance fait partie des facteurs importants dans la réalisation d’un buste. L’artiste, de même que l’architecte, se trouve dans une position délicate : il se lance dans la confection d’une oeuvre destinée à prendre une part essentielle dans l’univers du client. Dans le cas de l’architecture, le client va habiter l’oeuvre de l’architecte, et pour la sculpture, le client va se trouver avec une nouvelle « présence » chez lui. Et si cette présence est la sienne, donc une double présence de lui-même, c’est compliqué.
Et il faut prendre en compte un autre facteur : le temps va continuer à labourer l’un des deux « êtres ». Dans le cas de Dorian Gray, c’est l’oeuvre qui prend tout l’effet du temps sur elle, mais normalement, c’est le modèle, bien sûr. La course du temps s’arrête pour l’un des deux.
D’ailleurs, le sculpteur peut choisir à quel moment de la vie du modèle il arrêtera le temps. Il peut le réaliser en représentant l’époque de la jeunesse du modèle, par exemple, ou au contraire, il peut avancer l’aiguille du temps vers un futur probable. C’est dans ses mains que le temps danse. C’est angoissant pour le modèle, surtout s’il s’agit d’une personne qui a une image idéalisée d’elle-même.
Le cas le plus délicat, c’est quand on ressent l’immortalité de la sculpture et par opposition, sa propre mortalité.
Dans le buste d’une ancienne danseuse de Maurice Béjart que j’ai réalisé il y a deux ans, on perçoit une nostalgie dans le regard, comme si cette femme était consciente de l’aspect éphémère de la vie. Ses lèvres font une moue discrète ; elle souhaite effacer une pensée qui la traverse.
Le modèle nous a demandé de lui apporter son buste. Quand elle l’a vu, une fois que je l’ai dévoilé chez elle, dans le Marais à Paris, elle a pensé aux tombes dans les cimetières. Elle n’a pas voulu garder l’oeuvre.
Il faudra la jeter dans la Seine. Dommage, j’aimais bien cette femme au regard nostalgique.
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