« J’espère que nous ne croiserons pas de policiers ; on risque une amende », me dit la Poétesse inquiète, car la veille on a acheté une vieille Peugeot et on n’a pas la preuve de l’assurance. Après plus de cinq heures de route, la voiture pleine de pierres de la carrière de Tavel où nous nous sommes arrêtés, nous arrivons près de Sisteron. « Vous êtes arrivés à votre destination finale« , nous dit la voix féminine du GPS, avec son ton toujours aimable mais expéditif. Nous nous retrouvons avec notre chienne et nos 300 kg de pierres au milieu d’un champ plein de moutons. Nous nous dirigeons vers une ferme où un paysan est en train de nourrir ses bêtes. Il s’approche méfiant. Un gros chien de berger court vers la voiture. Quand j’ouvre la vitre, Isis se met à aboyer furieuse. La Poétesse essaye d’écouter le directeur de cabinet au téléphone, qui lui donne les instructions pour arriver. Je serre le collier de la chienne pour la faire taire, mais elle se met à hurler. Le fermier s’éloigne encore plus méfiant devant la scène chaotique. La Poétesse raccroche sans avoir entendu les instructions pour arriver à l’inauguration. Je mets marche arrière et on part vers la ville. Il nous reste quelques minutes. On voit de loin une quantité importante de policiers. Sensibles aux charmes de notre chienne fatiguée, des femmes policiers nous permettent de nous garer en zone interdite dans le parking déjà plein. Nous partons tranquilles, la voiture est surveillée par la police, ce qui empêchera qu’on nous colle une amende. Nous arrivons une minute avant que Christophe Castaner coupe le ruban.
Simone Veil a vécu l’Holocauste, elle a vu des scènes que nous ne pouvons pas imaginer aujourd’hui. Ses beaux yeux sont restés pour toujours imprégnés de l’horreur, imbibés d’ombre, tout en gardant l’étincelle qu’ont ceux qui contemplent le présent et qui fabriquent le futur, sans jamais perdre l’espoir.
Elle a été souvent photographiée, pas seulement à cause de la place importante qu’elle méritait dans notre société, ni à cause de sa beauté, mais plutôt par sa présence, son allure d’une immense dignité. Elle a su échapper au statut de victime. Les photographes ont cherché à attraper la profondeur de son regard. Je réalise son buste à partir de leurs clichés. Nous l’exposons au Salon des maires. Le maire de Sisteron, qui l’a connue, retrouve peut-être dans le buste le regard qui l’a marqué. Il nous commande un médaillon pour la future école Simone Veil. Elle observera des générations arriver et partir. Les enfants se rappelleront le regard intense et le petit sourire critique mais bienveillant de cette femme qui « a fait l’Histoire », comme l’a bien signalé Christophe Castaner dans son discours hier : « Il y a des gens qui marquent l’Histoire… il y a aussi des gens qui font l’Histoire. Simone Veil faisait partie de ceux qui font l’Histoire… »
Les enfants interprètent une chanson d’Anne Sylvestre adaptée pour Simone Veil. Ils connaissent par coeur les citations qu’ils doivent intégrer à la chanson. Le résultat est touchant. Sans tomber dans le pathos, j’essaie d’imaginer le visage ému de Mme Veil devant ce groupe d’enfants. Je vois ses yeux légèrement humides, sans qu’elle perde son éternel sourire.
Le maire Daniel Spagnou nous a donné carte blanche pour réaliser l’œuvre. Pour nous, la condition idéale pour créer est celle de la confiance. Nous remercions Monsieur le maire de Sisteron de nous avoir permis d’honorer cette femme en imprégnant l’argile de sa beauté et de sa force : Simone Veil a donné une nouvelle direction à l’Histoire de France.
Photos @JulietteDemarbre
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