Un buste en marbre pour la Guadeloupe

Paul Lacavé

Encore un visage qui, à force de l’observer changer sous les disqueuses, les marteaux piqueurs et finalement avec des outils abrasifs, devient presque familier. Au départ, il n’était qu’un bloc de marbre, un matériau noble, homogène et fin, mais inerte. Inerte pour notre perception humaine, mais plutôt endormi, car la pierre a une force, une espèce d’intention étrange prête à émerger. Il faut la « réveiller ». 

Nous n’avions que quelques mois pour le finir et l’envoyer en Guadeloupe. Le défi était immense.

Le problème était que nous n’avions que deux photos du personnage. Pour deviner sa personnalité, ses rêves, même sa voix si possible, en tout cas l’imaginer, il nous a fallu faire appel à l’intuition. Au départ, je trouvais sur les deux photos de la sérénité, une force tranquille, de la générosité. J’imaginais quelqu’un de très solide. Une personnalité qui aimait avoir une réflexion longue, pour ensuite devenir très décidée. 

J’ai dû faire appel à un petit stratagème, déjà utilisé dans le passé par des sculpteurs comme Rodin (pour réaliser le portrait de Balzac) : j’ai cherché parmi mes connaissances un visage lui ressemblant. Il me fallait trouver cette expression de générosité mêlée d’intelligence et de constance que je percevais sur les photos. Grâce à cette approche, j’ai pu donner une vraie présence, une sensation de vérité, au buste de ce député-maire disparu en 1976. Merci Antonio ! 

C’est fascinant de s’acharner jour après jour sur une matière inerte, en essayant de lui donner vie. Au début, c’est frustrant de passer des semaines à épanneler le marbre, à le dégrossir. Mais un jour, le travail devient passionnant : la pierre commence à exiger d’elle-même les changements nécessaires. Il suffit de l’observer attentivement pour que les modifications requises deviennent évidentes. Puis, soudainement, vous regardez le bloc de marbre que vous avez martelé des millions de fois, et il vous regarde à son tour. Et il vous juge. Il impose dorénavant une attention particulière dans vos frappes. Un être est là. On ne doit pas « le blesser » !

Cela peut sembler mystique, mais pour un sculpteur, la chose est simple : une pierre bien sculptée, à partir d’une personne observée avec soin, peut révéler les codes de son expression, l’essence de son caractère, et ainsi faire naître les étincelles qui lui donnent vie.

Cette fois, le personnage est un ancien maire de la ville de Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe. Un politicien disparu en 1976. Il fut très apprécié en tant que maire. Encore aujourd’hui, certains se rappellent quand, en 1950, il s’est interposé entre les CRS et les travailleurs de la canne et a dit cette phrase désormais célèbre :

« Tirez sur moi, ne tirez pas sur mon peuple! ».

En mai 1960, il accueille à Capesterre le Général de Gaulle, de passage à la Guadeloupe

Ceux qui l’ont connu se souviennent d’un homme chaleureux, de forte carrure, très à l’écoute de ses administrés.Nous n’avons pas pu être présents lors de l’inauguration, mais nous avons reçu des images et des témoignages gratifiants : « La famille et la population ont été ravies de la justesse du rendu. » (Jean-Philippe Courtois, actuel maire de Capesterre).

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