Post-confinement


Le confinement a pris fin par étapes, pour arriver à une situation presque normale. En principe, on devrait continuer les gestes barrière et certaines restrictions, mais les gens reprennent très vite, peut-être trop vite, la vie qu’ils avaient quittée il y a quelques mois.

Pour nous en tant qu’artistes, la différence entre le confinement et l’étape actuelle est légèrement d’une autre nature : on vivait déjà confinés d’une certaine façon, puisqu’on ne voyait presque personne, mais à partir du retour de la société à l’activité pré-coronavirus les choses se sont chargées de nouveau de freins, de peurs, de normes, d’attitudes artificielles.

Pendant le confinement, la Poétesse et moi avons réussi à retrouver une liberté douce et intense, nécessaire pour créer. Les médias se sont centrés sur le coronavirus et ont laissé de côté tous les sujets à la mode qui vendaient bien. Personne ne s’intéressait plus aux faits divers, aux affaires sociétales, aux conflits entre les sexes. La mort prenait une place plus importante. La vie reprenait sa dimension extrême, celle de fugacité et de fragilité et d’une recherche de sens profonde. Nous pouvions créer sans distractions. Évidemment les liens avec d´autres humains nous manquaient, surtout avec la famille et nos amis, mais la paix de l’esprit dans ce silence médiatique nous permettait une expression totale de notre énergie vitale, sans limites extérieures.

J’ai appris récemment que ceux qui ont eu un traumatisme crânien peuvent avoir des réactions « anormales », c’est à dire en dehors de la norme… dans mon cas, j’ai vite compris que ma difficulté à communiquer en direct, ma méfiance de la parole, venait de cela. Mon incapacité de donner une structure mentale au temps, ma façon de vivre de façon très naturelle et d’avoir constamment les sentiments à fleur de peau peuvent faire partie des caractéristiques de ceux qui ont subi un accident de cette nature.

D’un côté, cette information m’a rassuré puisque je comprenais mieux une différence que depuis toujours je percevais clairement entre ma personnalité et celle des autres. Avant je l’attribuais au fait d’être artiste. Maintenant j’attribue mon choix d’une vie d’artiste à la nature de mon caractère, un peu dévoilée et peut-être accentuée par l’accident vécu dans mon enfance. Qui arrive le premier, la poule ou l’œuf ?

D’autre part j’ai senti la fatalité de la chose. Serais-je juste le produit d’un accident de vélo ? Ma vie d’artiste réduite à cette simple explication ?

Heureusement la Poétesse m’a poussé à dépasser ce pessimisme fataliste en me proposant un raisonnement qui incluait les deux explications à ma vie d’artiste : j’étais déjà sans doute sur une voie tournée vers l’art à partir de ma propre nature et de ma propre vie (avec toute l’influence inévitable de l’extérieur), quand mon être a ouvert la possibilité de cet accident d’une façon ou une autre.

Peut-être pas vers l’art, car j’étais un gamin, mais vers une perception particulière de la réalité. Mon côté « étrange » vient d’avant l’accident, c’est vrai. Enfant hypersensible, timide, observateur, asocial… après l’accident, l’énergie en moi s’est libérée en quelque sorte. Le lobe frontal a mis moins de freins et je suis devenu plus ouvert.

Pourquoi je parle de tout cela dans un texte traitant du confinement ? Justement, parce que de nouveau j’étais isolé du monde, avec ma compagne et notre chienne, loin des normes, loin du bruit du monde, sans rôle à jouer, ce qui m’a amené dans un état semblable à celui où j’étais avant mon accident, il y a des décennies, avant que je sois poussé à une vie sociale que je ne maîtrisais pas.

La vie est complexe. Tout le monde trouve une voie ou une autre pour survivre. Nous avons choisi l’art et ça marche à peu près comme il faut. Je trouve un équilibre entre ma nature sans carapace, mon empathie involontaire, mon envie de communication totale, corporelle et intellectuelle, et de l’autre côté, les normes sociales, les choses pratiques, le temps linéaire, les obligations quotidiennes. Et tout cela dans une harmonie rendue possible par l’amour.

Autoportrait en marbre d’Arudy

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