Depuis deux nuits je ne dors pas, ce qui empêche mon seul neurone épargné par le coup sur la tête reçu quand j’étais enfant de fonctionner comme il faut. Mais comme j’ai besoin d’écrire, de la même façon que je dois sculpter pour éviter les migraines, je m’y mets. Un journal est un journal. Pas un hebdomadaire.
Deux câbles qui débouchent sur un embout à quatre bornes constituent la source d’énergie de ma boîte à mémoire, mon ordinateur. Sans ce chargeur, toute ma mémoire est en danger. Je dois réparer ce fichu chargeur. Mes anciennes, très anciennes, études d’ingénieur électromécanique ne m’aident pas à comprendre pourquoi il y a quatre bornes quand il n’y a que deux fils électriques dans le câble, mais ce n’est pas le sujet. Je n’ai pas pu écrire ces jours sur mon ordinateur tout simplement parce que le chargeur est en panne (le vingtième chargeur générique Mac qu’on achète). J’attends l’arrivée du vingt et unième.
Et la fatigue n’aide pas.
Une amie, Évelyne, m’a prêté un livre intéressant d’Edgar Morin: Sur l’esthétique (Robert Laffont, 2016). Ce qui m’a le plus marqué de ses analyses c’est sa vision sur les oeuvres d’art : «Les grandes oeuvres ne sont pas que « divertissements » : elles nous donnent compréhension de la condition humaine, dans ses comédies et ses tragédies.» Pour lui,«la vie [humaine] n’a pas de sens, mais la poésie donne sens à nos vies».
Il donne une vision flatteuse de l’artiste. Il le place dans un rôle proche du chaman. Une espèce de pont entre le monde magique et le monde quotidien. L’art nous met en contact avec les forces instinctives et celles de la nature. L’artiste entre dans un état de semi-transe ou d’état modifié de conscience pour créer. Il se met à travailler et c’est tout. Pas besoin de drogues. En fait, la drogue viendrait représenter de la redondance, comme mettre du poivre au piment ou du sel aux anchois, ou de l’incongruité comme donner une aspirine à un fakir. On peut imaginer toute une série de métaphores aussi mauvaises que les miennes. Je n’ai plus le livre avec moi, je donne ici l’idée de ce que j’ai retenu. Pour un cerveau avec un seul neurone et en plus fatigué, ce n’est pas mal, je crois. D’ailleurs, la fatigue aide parfois à laisser se manifester plus facilement les forces instinctives.
Depuis des décennies, je lis des articles d’Edgar Morin. Il a une vision complexe de l’univers. Il passe constamment d’une vision de l’infiniment petit à l’infiniment grand, et retour. Pour lui la cause et l’effet ont une répercussion dans les deux sens. La cause produit un effet, évidemment, mais la cause est également modifiée par l’effet. Et ce qui s’opère dans une cellule peut avoir une influence au niveau cosmique (et de même, dans l’autre sens). Morin s’intéresse au bouddhisme.
En regardant son visage, j’ai eu envie de réaliser son buste. Il a une tête sculptée dans le moindre détail. C’est un bon exemple de l’idée dont je parle souvent : le travail principal quand on réalise un buste est fait par le modèle en sculptant son propre visage, depuis la naissance. Chaque volume, ligne, creux, tache, courbe est une manifestation de la vie de la personne. Le sculpteur fait en quelques heures une lecture de ce qui a été écrit pendant des années. Edgar Morin a sculpté son visage pendant près d’un siècle. Le résultat est magnifique. Je devais donc le prendre comme modèle. Je publie des photos du processus et du résultat.
Levé à 4h30, j’ai pu finir le buste de Morin, une petite sculpture d’une femme qui tombe, et un mini buste de quelques centimètres. A 8h nous sommes allés avec Isis à la campagne. Juliette marchait pieds presque nus (Isis pattes nues et moi pattes dans des bottes lourdes et bien chaudes). Le vent nous a permis de faire des photos moins statiques. Isis avec les oreilles levées, les arbres inclinés, l’herbe peignée. Dans le fond, les Pyrénées recevaient le soleil. Un beau dimanche bien oxygéné.
Je dois finir la femme en train de tomber, dont je publie deux photos. Il s’agit d’une toute petite sculpture en argile qui aura un deuxième personnage en face d’elle. J’en profite pour publier les images du buste d’une danseuse qui a travaillé avec Maurice Béjart. Je l’ai patiné à l’encaustique et à l’huile (cire d’abeille, résine de Copal, essence de térébenthine, et peintures à l’huile).
Si mon chargeur arrive demain, je reprends mon journal.
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