« Le sculpteur joue ici sur les contrastes entre les sexes pour offrir une vision contemporaine de l’antique satyre. Le faune enveloppe et retient une femme prise entre la douleur et l’extase. Comique et sérieux s’interpénètrent dans cette œuvre où l’on lit aussi de la force et de la tendresse. Les satyres, compagnons de Dionysos, étaient reliés aux plaisirs du vin, de la bonne chère et de la chair. Dans une société où le contrôle de soi est une injonction omniprésente, cette Belle et sa Bête nous rappellent que l’être humain n’est complet que lorsqu’il harmonise en soi l’animal et l’homme. En cela, le satyre représente aussi tout ce qui nous fait peur, autour de nous mais surtout en nous, et dont on préfèrerait détourner le regard alors que son énergie, bien canalisée, est l’une des principales sources de notre créativité et de notre joie de vivre. »
La Poétesse
Pour les artistes visuels il est très difficile de parler de leurs œuvres, tellement elles sont réalisées loin de la pensée rationnelle de l’hémisphère gauche (source de notre pensée linéaire, analytique, séquentielle). Je mets de côté les artistes conceptuels qui sont formés à manipuler le langage à l’oral et à l’écrit, ce qui tombe bien parce que leurs œuvres dépendent d’explications extérieures (souvent autour du mot « questionner ») pour pouvoir exister. Je cite donc la Poétesse, qui a écrit ce texte il y a longtemps, quand j’avais déjà donné à ce bloc de pierre calcaire de Saintonge ses formes essentielles.
Hier soir, la Poétesse est venue découvrir le résultat de plusieurs mois de travail.
– Tu as vu la date sur ta pierre ? « MMXX » Tu dois la changer. Tu peux rajouter trois « I », me suggère la Poétesse.
-Trois ans !
-Oui, ça fait trois ans que tu dis que tu as fini cette pièce. Et tu la reprends de temps en temps. Cette fois elle est bien finie, je suppose.
La Poétesse sait que même si je répondais que c’est le cas, je risquerais de me tromper. Le temps aide à voir ce qui ne marche pas dans une œuvre. Ce n’est pas tellement le fait que l’auteur change avec le temps et qu’il aurait alors envie d’adapter ses créations à sa nouvelle façon de voir ; c’est plutôt une affaire de construction mentale. De nos jours, on parle souvent de « déconstruire », à mon avis de façon souvent radicale et anticivilisationnelle. Mais le principe de déconstruire ce que le cerveau fabrique pour mieux percevoir la réalité, oui, c’est intéressant et nécessaire, pour mieux reconstruire ensuite. Quand on a le nez dans le guidon, comme on dit, on s’habitue aux formes qu’on a données à l’œuvre. On les perçoit de plus en plus cohérentes étant donné que le cerveau s’occupe à inventer des proportions, des volumes, directement dans l’imagination du propriétaire (du cerveau). Et puis, un jour, des mois plus tard, quand notre organe intelligent a « oublié » cette construction artificielle, on découvre des incohérences, des détails frappants qui empêchent l’harmonie de l’œuvre. On se demande alors comment ça se fait qu’on n’avait pas vu ces erreurs.
Le lecteur en cet instant doit se demander si les œuvres d’art atteignent un jour la perfection, après ces allers-retours. Je rejoins ceux qui pensent que la perfection n’est pas le but de la création humaine, que c’est le contraire : c’est dans le déséquilibre, dans la lutte de forces opposées que l’art se manifeste. Les artistes cherchent à se perfectionner eux-mêmes, dans leur création, mais leurs œuvres doivent rester, je pense, un espace de bataille pour une recherche sincère et osée dans la découverte de notre univers. Les instincts, l’animalité, et les forces profondes de ce satyre se veulent du côté de la vie. Même les artistes les plus sombres, les plus pessimistes, font appel à la vie, puisque créer c’est forcément une activité liée à la vie. Déconstruire pour détruire, mène à l’inertie. À l’absence de vie. Je ne dis pas « à la mort », car celle-ci fait partie de la vie.
Donc, trois ans pour réaliser par étapes cette pièce. Je sens qu’elle est arrivée à sa fin, qu’elle commence maintenant une évolution plus lente menée par le temps.
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